D’une grande école de commerce parisienne à Tsahal : parcours atypique d’un combattant de l’ombre

De l’ESCP (prestigieuse grande école de commerce parisienne) à Tsahal, découvrez comment Nessim, un «simple soldat», a su accomplir un formidable projet dans le monde militaire, réputé pour être particulièrement difficile et hiérarchisé.
Sarah B.
L’histoire du soldat que nous allons vous présenter aujourd’hui est différente de celles que nous avons publiées par le passé. Pourquoi ? Si vous lisez cet article sur notre blog, c’est que ce soldat ne vous est pas totalement inconnu.
Avant de mettre en œuvre tous ces efforts, Tsahal ne communiquait pas en français. A l’heure où l’on ne cesse de parler de «guerre médiatique» ou de «guerre des images», ce soldat a su saisir une opportunité et pointer du doigt une faille incontestable de l’Armée Israélienne. De l’ESCP (prestigieuse grande école de commerce parisienne) à Tsahal, découvrez comment un «simple soldat», j’entends par là un soldat qui n’a pas de grade, a su accomplir un formidable projet dans le monde militaire, réputé pour être particulièrement difficile et hiérarchisé. En effet, Nessim est loin d’être quelqu’un de simple ou d’ordinaire. Bien au contraire quelqu’un de brillant qui aura su laisser son empreinte dans l’Armée Israélienne.
Le projet du site de Tsahal en français
Lors de la fête de Rosh Hashana en 2010, tous les soldats seuls (sans parents en Israël, c’est-à-dire majoritairement des « olim hadashim »- de nouveaux immigrants) de l’Unité du Porte-parole sont conviés à un dîner avec le Porte-parole de l’Armée Israélienne. Cette grande personnalité, la deuxième figure la plus importante de l’armée, fait chaque année honneur aux soldats seuls pour leur engagement et leur courage. Autour de quelques douceurs sucrées, les soldats seuls oublient qu’ils ne passeront pas les fêtes avec leurs parents vivant à l’étranger. «Manquez-vous d’argent, de nourriture, y a-t-il quelque chose que l’armée pourrait vous apporter pour vous aider ?», lance le Porte-parole de Tsahal, le Général de Brigade Avi Benayahu. Nessim, sans hésiter, saisit l’opportunité : «Je ne manque de rien sur le plan personnel, mais je pense qu’il manque quelque chose en terme de communication dans l’unité. L’Armée Israélienne ne communique pas en français, nous laissons donc le champ libre à tous nos détracteurs. Notre parole est tout simplement inexistante dans le monde francophone». La bombe était lancée, mais il continua, avec cette impertinence à la fois touchante et innocente du soldat étranger fraîchement engagé en présence d’un responsable très haut gradé qui n’a pas encore intégré les codes de conduite appropriés. «Je travaille pour le site en anglais, mais je pourrais apporter quelque chose de bien plus important en écrivant en français. Je suis encore là pendant un an et j’ai la volonté de m’investir beaucoup plus, je suis sûr qu’une version française du site aurait un grand succès». « Je te donne carte blanche », fut la réponse du Porte-parole de Tsahal.
Ses débuts à l’armée
L’histoire commence il y a environ un an. Nessim, 25 ans, originaire de Paris débute son service dans l’Unité du Porte-parole de Tsahal. Parfaitement trilingue (hébreu, français, anglais), il rejoint l’équipe du site officiel de l’Armée Israélienne en anglais pour lequel il traduit des articles. Il effectue quotidiennement sa tâche, fier de servir dans cette prestigieuse unité, sans plus d’engouement que ça. En effet, Nessim nourrissait le rêve de servir dans une unité combattante, mais un problème au genou l’en a empêché. Il se console : Dover Tsahal est une unité réputée en Israël qui recrute des soldats de qualité. Quelque soit le poste occupé, il s’agira d’une belle ligne supplémentaire sur le CV de Nessim qui s’allonge de mois en mois. Après un diplôme de l’ESCP, Nessim étudie également dans un programme du Technion à Haïfa, centre majeur de recherche en haute technologie israélien.
La flottille
Nessim sert depuis un mois dans l’unité lorsque surviennent les incidents de la flottille. Au moment de l’arraisonnement du Mavi Marmara par les soldats israéliens qui ont dû faire face à une violence extrême et inattendue, il assiste impuissant au déferlement médiatique contre Israël et au silence de Tsahal sur la scène médiatique francophone. Dans son esprit, un projet clair se dessine. L’unité du Porte-parole doit se doter d’une arme de communication en français afin qu’elle puisse faire entendre sa voix.
Concrétiser un projet de A à Z
C’est à ce moment que je fais la connaissance de Nessim par l’intermédiaire d’un ami que nous avons en commun. Quatre mois plus tard, je m’engage à mon tour dans les rangs de Tsahal, et après un mois et demi de classes, je rejoins Nessim afin que nous nous mettions enfin au travail. Nous établissons rapidement notre objectif : en plus de l’actualité de Tsahal sur le plan sécuritaire, nous souhaitons présenter par le biais de ce site internet l’Armée Israélienne autrement, de manière plus humaine. Nous voulons mettre en avant des aspects méconnus de Tsahal : le rôle des femmes, les délégations de Tsahal envoyées dans le monde entier pour remplir des missions humanitaires, le professionnalisme des unités combattantes, les nouvelles technologies développées par l’Armée Israélienne. Par-dessus tout, il s’agira de montrer que les soldats israéliens ne sont pas ces brutes épaisses qu’on a tendance à stigmatiser, mais des jeunes gens âgés de 18 à 21 ans réunis ensemble pendant plusieurs années pour vivre l’une des expériences les plus formatrices de leur vie. Montrer l’armée de l’intérieur, comme nous la voyons tous les jours de nos propres yeux.
Ensemble, nous rédigeons plus de 250 pages de contenu. Nous souhaitons également que notre site comporte une base de données très riche au sujet de l’histoire de l’Armée Israélienne, de ses grandes figures, de ses succès et de ses progrès. Des heures de travail s’accumulent dans un bureau de Tel Aviv, dans la crainte de ne pas être prêts pour les prochains évènements « critiques » où l’Armée Israélienne devra être entendue en français. Il ne faudra surtout pas être absents lors d’une prochaine flottille éventuelle ou d’une escalade de violence. Cependant, il est aussi nécessaire de fournir du contenu de qualité. Pour Nessim, tout doit être parfait. Il supervise tout, de la recherche des informations à la rédaction en passant par la publication et la gestion personnelle (bien que je sois la seule soldate dont il soit officieusement responsable).
Deux rencontres / épisodes marquants au cours de ces six mois de travail
Le contenu presque achevé, nous nous lançons à la recherche de photos pour illustrer les pages de notre site. Nous prenons rendez-vous aux « archives de Tsahal ». Une immense bibliothèque multimédia de photos. Nous dénichons là-bas des petits trésors d’histoire. Une photo du Premier Ministre Ben Gourion, assis dans l’herbe avec quelques soldats qui se reposent peu après l’indépendance de l’État d’Israël ou encore des photos inédites de l’Opération Moïse pendant laquelle les Juifs d’Éthiopie ont été rapatriés en Israël.
Ces quelques mois de travail nous ont également permis de rencontrer Yona, cet homme haut en couleurs qui a aujourd’hui 82 ans. Il a servi dans Tsahal pendant la Guerre d’Indépendance. Il vit aujourd’hui en France, mais continue de vouloir apporter une contribution concrète à Israël et à Tsahal. Il a accepté de corriger et d’éditer l’ensemble du contenu du site avant son lancement. Et parfois, nous avons eu le droit à une anecdote inédite dont les personnes âgées charismatiques ont le secret.
Le bout du tunnel
En avril dernier, nous décidons de nous lancer dans la phase de communication. En effet il est inutile de produire du contenu si celui-ci n’est pas lu et repris. Au cours d’un voyage en France, nous entrons en contact avec une multitude de journalistes et d’intellectuels afin de recueillir leurs conseils mais aussi de faire connaître le projet.
Nous lançons finalement le site, après 6 mois de travail acharné et quelques nuits blanches. Le premier jour, vous êtes 11 000 à jeter un œil au nouveau blog officiel de l’Armée Israélienne en français, nos efforts sont récompensés.
Un profil atypique
Il n’est pas donné à tous les soldats de Tsahal de mettre en œuvre des initiatives personnelles dans le cadre de son service militaire, encore moins lorsqu’il s’agit d’une telle responsabilité et que l’image de Tsahal à l’étranger est en jeu. Si l’on part de ce constat, on comprend qu’il n’a fallu qu’un court échange entre Avi Benayahu et Nessim pour que l’ancien Porte-parole lui accorde sa confiance. Une rigueur et une volonté infaillibles. On peut finalement se demander ce qui a poussé un jeune homme de 26 ans, avec plusieurs diplômes, un MBA en route, des amis et une fiancée, à s’enfermer – au sens propre – et à mettre en partie sa vie entre parenthèses pendant six mois pour s’investir dans un projet envers lequel il n’avait aucune obligation concrète. Nessim, parfaitement éveillé après une nuit entière de travail et concentré sur le projet m’explique calmement que « lorsqu’un projet le motive, sa capacité de travail n’a pas de limite ». Un discours sérieux et crédible qui a su convaincre nos supérieurs et même les enthousiasmer. Ainsi, quand Avi Benayahu venait rendre visite aux soldats de l’unité, on l’entendait répéter dans les couloirs : « Alors, où on est-on avec le blog en français ? Où est Nessim ? « , « Nous pensons qu’il sera prêt pour juin », « Comment ? j’ai bien entendu avril ? Allez, avril, adjugé ».
L’expérience du service militaire dans Tsahal dépend essentiellement de la tâche à laquelle vous êtes affecté et des gens avec qui vous vous trouvez. Cette société miniature repose sur le principe de l’éducation du jeune par le jeune. Les gens que vous côtoyez n’ont généralement pas plus de trois ou quatre ans de plus que vous, mais un tas de choses à vous enseigner. J’ai eu la chance de travailler à ses côtés pendant sept mois. Au-delà du vide laissé par son départ dans l’unité et pour le blog, c’est un vrai ami à qui j’ai dit au revoir. Un garçon brillant, auprès duquel j’ai énormément grandi et appris. Ces six mois passés à ses côtés ont été très riches, et c’est un plaisir d’avoir été formée et guidée par un soldat tel que lui, autant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. En effet, Nessim est également quelqu’un de sociable, d’ouvert, à l’écoute des autres, qui aime profondément les gens et qui sait profiter de la vie. Alors merci.
Cette tendance à vouloir profiter de chaque rayon de soleil allait souvent à l’encontre de la discipline qu’il s’imposait afin d’assumer ses responsabilités au sein de l’unité et d’accomplir son projet dans les temps.
Aujourd’hui, le chapitre Tsahal est derrière lui, mais je sais qu’il jette régulièrement un coup d’œil au blog et à notre travail. « Nessim a ouvert une nouvelle voie, il est réellement le premier soldat à avoir mis le français sur la liste des priorités de l’Unité du Porte-parole de Tsahal. C’est également quelqu’un que je respecte beaucoup, qui m’a appris énormément, ce qui prouve qu’un simple soldat peut provoquer un changement significatif à l’échelle d’une armée nationale « , nous a confié Ourikh, l’éditeur du site de Tsahal en hébreu.
Finalement, Nessim n’a pas été combattant dans l’Armée Israélienne, mais on peut dire qu’il a accompli son propre parcours du combattant. Une aventure longue et fastidieuse, remplie d’obstacles et de barrières, qui donne une vraie leçon à tous ceux qui baissent facilement les bras.
Rétroliens & Pings
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